Parfois j’oublie que je suis en fauteuil. Ça ne dure jamais bien longtemps. Il y a toujours quelque chose, même un détail, qui me ramène à la réalité. Et je ne parle pas de mon corps et de ses capacités : je parle du monde extérieur.

Un cumul qui n’augure rien de bon

Il y a déjà plusieurs semaines, le Barbu et moi devions retrouver des copains dans un pub. La première raison était pour se retrouver parce que ça faisait longtemps qu’on ne s’était pas vus. Et puis ça tombait bien, c’était pile le jour de l’anniversaire de l’un d’eux. C’est après que ça s’est gâté. La soirée d’anniversaire s’est transformée en soirée rugby : le lieu a finalement été choisi de façon à voir sur grand écran le match important du jour. Et comme si ça ne suffisait pas, il se trouve que c’était la même semaine que la Saint Patrick. Bien. Je vous laisse imaginer le monde entassé là-dedans, premier point.

Deuxième point, ce pub je le connaissais parfaitement pour la simple et bonne raison qu’il était l’un de nos QG de soirées lorsque j’étais étudiante. Valide donc. De ce fait, j’y ai beaucoup de bons souvenirs sur mes deux jambes et ce jour-là, en fauteuil, cela faisait plus de dix ans que je n’y étais pas retournée.

Il y a de nombreux endroits en rapport avec mon « avant fauteuil » qui sont restés familiers même en fauteuil : je me suis rarement empêchée d’aller ou que ce soit par peur d’une comparaison entre ma situation valide et ma situation de handicap. Celui-ci je n’avais pas vraiment fait exprès de m’en éloigner, je n’avais juste pas eu l’occasion d’y retourner. Et ça n’aurait certainement pas été un problème de le faire si le contexte avait été différent.

Perdue dans la vague humaine

Là c’était la fête. Une fête autour d’un évènement qui ne m’intéresse pas. Parce qu’à la différence de beaucoup de personnes en France et dans le monde, je n’aime pas regarder le sport. Le pratiquer oui, le regarder non. Ça a toujours été le cas. Ainsi donc je me retrouvais au milieu d’une masse de gens tournés vers des écrans, bières à la main, tandis que moi j’étais là à voir ressurgir des fantômes du passé dans ma tête.

Savez-vous à quoi ça ressemble d’être en fauteuil dans une masse de gens ? C’est ne rien voir d’autre que le plafond en levant la tête. C’est être entourée, serrée même par beaucoup trop de paires de fesses, bousculée par des coudes, arrosée par des verres pleins qui débordent, cognée par des sacs à dos et se faire brailler dessus avec des « S’cuse je t’avais pas vue ! » des « Oups », des « Pardon ! » et même des « Déso… » qui clairement, à ce moment précis, font pires que mieux comme on dit.

J’avais déjà vécu ce genre de situation en concert, mais au moins en concert tout le monde est, et va, dans le même sens. C’était des concerts que j’avais choisi dont je partageai l’engouement. Ce jour-là dans ce pub, je me suis sentie comme une tasse en porcelaine au milieu d’un troupeau d’éléphants qui jouent ensemble et ça, ce n’est pas vraiment la soirée à laquelle je m’attendais.

« C’était mieux différent avant »

Cette foule, ces cris, ce bar, j’en avais eu l’habitude dans une autre vie. Nous ne regardions pas le rugby mais nous étions autant à remplir le lieu de cris et de verres vides abandonnés ici et là. Non seulement j’ai pris un certain nombre d’années (je ne dirais pas que ça n’est plus de mon âge mais presque), mais en plus ne suis-je plus tout à fait dans la même situation (quelle surprise !) Et cette comparaison qui me sautait à la gorge, me la serrait si fort que je retenais mes larmes autant que je le pouvais, comment j’aurais pu expliquer tout ça à ce moment-là ?

Il y avait aussi ces coups toutes les trois secondes dans mon fauteuil, dans ses poignées. Mes roues et mes mains courantes que je sentais poisseuses et collantes d’avoir reçu de la bière des personnes qui m’entouraient. J’ai senti la panique monter peu à peu, le souffle me manquer. Je ne me sentais pas à ma place, j’avais envie de me téléporter pour me retrouver chez moi au calme, seule, dans le silence.

Heureusement je suis adulte, je me sens suffisamment bien dans ce que je suis pour me dire « ok, là je dois m’en aller » sans avoir peur de « louper quelque chose » si je ne me force pas à rester à la fête. C’est donc ce que j’ai fait : le Barbu m’a aidé à m’extirper de cet environnement infernal, j’ai pris la voiture tandis que lui est resté et s’est fait redéposé par les copains après la soirée. Moi j’ai fini la mienne en pyjama avec des chocolats en regardant une série mignonne tout en cherchant quoi rajouter sur ma wish-list pour mon anniversaire. Et là j’étais à ma place.

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