Quand il faut faire la promo de son livre (« Ça n’arrive qu’aux autres (enfin presque) ») nous comptons tous sur les médias pour nous faire connaître et espérer gagner un peu en notoriété.

Seulement voilà, il arrive qu’il y ait des surprises… quelques peu dérangeantes. Notamment lorsque le journaliste ou le blogueur qui parle du-dit livre utilise des termes qui ne correspondent pas du tout à l’image que l’on souhaite véhiculer… Vous ne comprenez pas de quoi il peut s’agir ? Pas de panique, je vous explique !

Des mots gênants presque tabous

J’ai déjà tant de fois entendu ou lu de ceux qui voulaient me présenter, présenter mon histoire, des mots tels que « drame », « victime » ou « tragédie ». Je ne m’y reconnais pas à vrai dire, même si je conçois que quelqu’un puisse identifier ce qui m’est arrivé par ce vocabulaire. Je ne leur en veux pas, ce ne sont que des mots, et ceux qui me connaissent savent de quoi il en retourne. Mais je crois qu’il faut que je mette au clair une chose qui en étonnera plus d’un…

*oubliez le drame

Je suis heureuse

Ah ben oui je sais, c’est étrange qu’ « un handicapé » puisse aimer sa vie parce que quand même, être en fauteuil c’est l’horreur. Je me détesterais d’écrire que l’on s’y habitue, en revanche ce à quoi je peux dire qu’on s’habitue, c’est nos combines. Nos repères, notre façon de faire malgré ce que l’on n’a pas, avec ce que l’on a. Je ne considère pas ma vie comme étant triste, elle n’est pas un drame. Plutôt un film biographique feel good que l’on regarde en automne, quand les arbres commencent à perdre leurs feuilles et que l’on se met à traîner pas loin du radiateur avec sa tasse de thé. Mon accident ? L’élément perturbateur. Ou élément déclencheur, qui m’a sortie d’une vie peut-être un peu trop tranquille, qu’en sais-je ? Un élément : sur un temps donné donc, qui ne caractérise pas l’ensemble. « Elle a vécu une tragédie ». Oui. Un soir. La suite m’a appartenu et je ne pense pas en avoir fait quelque chose de larmoyant, mais bien ponctué de hauts et de bas, de difficultés et de petits miracles.

« Victime d’un accident de la route »

Parce que j’ai une âme de pacifiste, je lis ces mots avec peine tant je trouve le terme « victime » violent. Pour qu’il y ait victime ne faut-il pas qu’il y ait bourreau ? Qui accuser dans mon cas ? Le verglas ? La nature ? L’univers ? Y verrait-on un sens, bien sûr que non. Maintenant je sais ce que certains m’ont avoué avoir longtemps pensé lorsque peu après l’accident, je tenais déjà ce genre de discours… « Elle minimise pour se protéger, elle ne se rend pas compte ». Peut-être que je minimise effectivement. Et peut-être que non. Je n’ai aucune envie de passer le reste de ma vie assise dans le noir à ruminer sur ce qu’il s’est passé et ce que j’ai perdu. Alors plutôt que d’incarner une victime, je préfère incarner un phœnix. D’un c’est plus beau et plus sympa, de deux et bien…ça en jette. Alors ok, il s’embrase quand il meurt et ça doit être particulièrement douloureux comme dernières secondes d’oiseau. Mais il renaît de ses cendres, en quelque chose de différent, de mieux ou de moins bien, peu importe : il renaît. Bon et bien voilà. J’ai explosé ma voiture contre un arbre en glissant sur du verglas, et ça a dû être particulièrement douloureux comme dernières secondes de valide. Mais je me suis reconstruite autrement, avec un corps différent, moins bien certainement mais peu importe : je vis, je vis vraiment.

*c’est un mauvais jour pas une mauvaise vie

Ma mémoire, cette alliée insoupçonnée

Maintenant si je n’arrive pas à prêter à mon histoire un vocabulaire aussi déprimant, c’est certainement parce que j’ai le luxe de n’avoir aucun souvenir de ce qu’il s’est passé. La nuit, le virage, le dérapage, les pompiers et l’arrivée à l’hôpital, tout cela m’a été complètement dissimulé par mon inconscient. Alors quand on me raconte, je ne ressens pas les choses, par conséquent je ne les trouve pas plus « tragiques » que cela. Graves oui, pas tragiques, connaissant la suite. Si un jour je retrouve les images de ce soir-là, si un jour ma mémoire décide qu’il est temps de me les rebalancer, peut-être que mon ressenti sera différent. Sûrement même. Ce que mes yeux ont vu à cet instant et la peur immense que j’ai sans aucun doute ressenti donneront une autre dimension à tout ça. Mais là encore, ça m’appartiendra.

En attendant…

En attendant je ne souhaite pas que l’on me voie comme « cette pauvre  jeune femme qui n’a pas de chance ». Je n’ai pas eu de chance, l’espace de quelques secondes. Le reste sont des conséquences. Et mon livre, mon témoignage, est un message d’espoir. Je ne suis pas une victime. Je suis une insupportable optimiste. Et oui, la vie en fauteuil est difficile, mais ça ne m’empêche pas de vivre un million de belles choses. Oui parfois je pleure et même si c’est souvent en rapport avec mon handicap, devinez quoi ? Parfois je pleure pour autre chose. Comme tout le monde.

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