« Elle est en fauteuil après avoir eu une cervicale déplacée.

– Ah. Donc elle a eu un accident… Elle a été à l’hôpital combien de temps ?

– Cinq semaines.

– Et c’était il y a combien de temps ?

– Cinq ans.

– Quand même… Ça va, elle s’en est bien sortie !

– Par l’opération du Saint Esprit oui…

– Quoi ? »

Accident – Hôpital – Fauteuil. La plupart des gens (la « moi » d’avant comprise) font ce raccourci sans se poser plus de questions. Mais le corps humain a beau être fabuleux, il ne se remet pas d’un traumatisme du jour au lendemain. Qu’il soit paralysé, cassé ou juste affaibli, le retour « à la normale » n’arrive pas un matin au réveil, comme si de rien n’était. Non. Entre l’hôpital et la maison, le chemin est long (et tortueux) : bienvenue en rééducation !

 

Vous avez dit rééducation… Keskecé ?

 

Rééducation : nom commun (jusque là tout va bien)

  • Action de rééduquer (mon éducation va très bien, je vous remercie)
  • Endoctrinement idéologique forcé (on s’en passera)
  • Action de refaire l’éducation d’une fonction lésée par accident (ah ! Là on est pas mal…)

Quand, à l’hôpital, on me parlait d’aller en rééducation, j’avais l’impression que l’on m’expliquait que j’allais suivre des cours de magie. Naïvement je pensais que je m’y rendrais, que je travaillerais avec kinés et autres thérapeutes quelques mois et qu’ensuite, je pourrais reprendre ma vie comme si rien ne s’était passé, comme avant en somme.

Des mois de travail avec tout plein de gens dont le métier fini par « thérapeute » il y en a eu. Il y en a toujours. Dans certaines situations, ça ne représente que deux ou trois mois, chez d’autres six à douze. Moi j’ai décidé de battre un record, j’ai persévéré durant vingt-cinq mois. C’est une histoire de corps qui guérit ce qu’il peut guérir, mais c’est aussi une histoire de choix : à quel moment décide-t-on qu’on est arrivé au bout des améliorations ? Quand on a une jambe cassée, on sait que la rééducation est terminée lorsque l’os est reconstruit et qu’on a réhabitué, petit à petit, le membre à remarcher. Mais quand ce sont les terminaisons nerveuses qui ont été touchées et dont on ne peut voir l’état ni par radio ni par scanner, et bien on ne peut pas savoir. Est-ce qu’elles se remettront, si oui, quand et comment ?

Alors on s’habitue à vivre en collectivité dans un établissement médical avec un tas d’autres éclopés et on se lève chaque matin dans l’espoir de retrouver ce qui avant allait de soi : l’utilisation de son corps.

Si le premier rôle de la rééducation consiste à nous faire stimuler, remuscler, entraîner le corps à récupérer ce qu’il a perdu, le second est de nous apprendre à nous adapter, ruser et faire autrement, sans ce qui ne revient pas. Manier le fauteuil, se servir d’une sonde urinaire, utiliser des outils pour faciliter la vie d’handi, exploiter tel muscle à la place d’un autre, faire tel mouvement pour contrer celui-là. La rééducation c’est aussi de l’apprivoisement. Apprivoiser un nouveau corps et appréhender une nouvelle vie.

 

 

Et en rééducation, Onfékoi ?

 

Concrètement, être en rééducation, c’est comme être interne au collège. On vit dans une chambre qui n’est pas vraiment à nous, parfois en coloc, parfois avec salle de bain commune sur le pallier. La semaine, emploi du temps calé : petit déjeuner à huit heures, kiné entre dix et onze puis ergothérapie entre onze et douze. Déjeuner au réfectoire et pause jusqu’à quatorze heures. De quatorze à quinze APA (Activité Physique Adaptée), de quinze à seize re-kiné et de temps en temps, par-ci par là, rendez-vous avec l’assistante sociale, avec la psychologue, avec la neuropsy…

Pour certaines « matières », on y va avec motivation, pour d’autres c’est la corvée. Il y a des jours où ça fonctionne bien, ça avance même et nos efforts payent. Mais il y a des jours où rien ne se passe et l’on a qu’une envie : redevenir ce gamin insouciant (et valide) qui vivait sans avoir à se faire de souci chez papa et maman.

Le centre de rééducation, c’est un monde à part, une bulle, un sas de transition. On y apprend de son corps et de son propre fonctionnement, mais on en apprend aussi de la vie et des autres.

Les scénarios, les raisons, les causes d’un handicap sont multiples. Les façons d’y faire face également. Il n’y a pas vraiment de règles, la Nature nous rappelle constamment qu’elle fait ce qu’elle veut mais il ne tient qu’à nous de lui donner un coup de pouce ! Un mental, une envie, une motivation, une détermination, envers et contre tout.

La rééducation nous remet sur les rails… si l’on décide que ce sera notre voie ! Car enfin elle fait des merveilles… pas des miracles (eux ils se font ailleurs) !

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