Quelqu’un qui a un handicap est quelqu’un qui a des difficultés, physiques ou mentales, l’empêchant de faire certaines choses comme n’importe qui d’autre. D’accord. Mais encore ?

Quelqu’un en fauteuil est quelqu’un qui ne peut pas marcher. C’est tout ? Quoi d’autre ?

 

Ah, ces raccourcis…

Tout le monde les aime les raccourcis. Ils simplifient, ils font gagner du temps, ils font voir autrement même si ça n’est pas toujours entièrement juste. Ils sont une forme de naïveté et parfois, un moyen de rester dans sa zone de confort, d’éviter ce qui est gênant, tabou, étrange ou simplement… inconnu.

Mais un enfant qui reste dans son monde, persuadé de l’existence du Père Noël, des fées et de la souris qui passe prendre ses dents en échange d’une pièce ou d’un cadeau, c’est bien, c’est sain. Un adulte qui décide de rester aveugle à certaines réalités de la vie, ça peut vite devenir source de malaise quand ça n’est pas de l’idiotie.

Les raccourcis donc. À insérer dans la case « préjugés » ou pas loin, ils évitent aux valides de se prendre la tête mais font aux handis se prendre des murs. Font oublier aux gens de considérer une situation dans sa globalité plutôt qu’uniquement par ce qu’ils en savent. C’est un peu comme regarder une pièce de théâtre par le trou de la serrure, on capte l’essentiel, quoique pas toujours le plus important, et l’on manque tous les détails qui font comprendre les évènements.

Un handicap, ce n’est pas seulement une jambe cassée, une vertèbre déplacée, un nom de maladie incompréhensible ou un bras en moins. Une jambe cassée ce n’est pas seulement de ne pouvoir s’appuyer dessus, une vertèbre déplacée ce n’est pas seulement une transformation d’un être humain en légume, une maladie ce n’est pas seulement dire qu’on a mal à la tête sans être sûr que ça n’est pas « dans la tête », comme un bras en moins ce n’est pas seulement ne plus pouvoir se tourner les pouces au sens propre du terme.

 

… Et la version longue

L’effet papillon ou celui de la boule de neige, c’est ce que moi j’appelle « le package ». Car quand on reçoit un colis étiqueté « handicap » sur le papier d’emballage, ça n’est pas la petite boîte taille bague de fiançailles mais plutôt boîte taille boulet de prisonnier, la tenue en prime. Rajoutez à cette comparaison visuelle celle du poids de chacun et vous y êtes.

Je suis tétraplégique incomplète (j’ai une cervicale de déplacée donc il y a des terminaisons abîmées, d’autres non ou qu’à moitié, ce qui fait que certains de mes muscles ne fonctionnent plus, d’autres si ou qu’à moitié). Alors c’est vrai, je ne marche pas. Mais dans mon kit Dalton, j’ai aussi un cœur lent, des abdos faibles, un diaphragme avec une capacité de moineau, une fatigue facile et une concentration moyenne. Et qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que si je fais la grasse mat’, je vais mettre dix minutes (voire plus quand il fait chaud) à me lever le temps que mon corps se remette au boulot. Ça veut dire que par moment je vais me mettre à bailler comme si je sortais d’une nuit blanche alors que ce n’est qu’une conséquence de mon rythme cardiaque qui ralentit (en rendez-vous professionnel, ça la fout mal parfois). Ça veut dire qu’au quotidien, je vais mettre beaucoup plus de temps à prendre ma douche (rapport aux transferts), à aller aux selles (rapport aux abdos), à m’habiller (rapport à l’exercice que ça me demande)…. Bref. Ne par marcher n’est qu’une partie de mon handicap. Vous savez, la fameuse partie de l’iceberg qu’on voit et qui dissimule bien celle qui est immergée.

Mais le mien d’iceberg, est plus petit que ce que les médecins avaient prévu. Parce que je m’en sors bien : toutes ces choses qui parfois me mettent hors de moi à me sembler si fastidieuses quand avant elle ne me posaient même pas question, au moins je les fais. Et si, plus lentement qu’un valide, pas non plus à ce qu’il s’en rende toujours compte. Certains mettent toujours plus de temps à se lever que moi, leur volonté face à l’appel de la couette en hiver se faisant par moment plus faible que la mienne peut-être.

 

Les éléments extérieurs

Ne pas marcher est difficile à vivre. Mais ce serait sûrement moins le cas s’il n’y avait pas tout le reste. En tous cas, serait-ce plus supportable. Car le handicap de quelqu’un, ce n’est pas que son corps, c’est aussi les autres. Ce sont leurs regards, leurs jugements, leurs maladresses, leurs incompréhensions, leur ignorance, leur dédain même parfois. Le handicap de quelqu’un, ce n’est pas qu’une bulle de difficultés mais c’est un monde entier inadapté. Si les rues étaient plates, si les trottoirs étaient larges, si les poubelles ne bloquaient pas le passage, si les bâtiments n’avaient pas de seuils, si les marches n’existaient pas… être en fauteuil deviendrait presque un détail. Car un obstacle est un rappel, un rappel que nous ne pouvons pas, que la liberté est une notion plus abstraite pour nous pour des raisons purement matérielles et que sans ce corps défectueux, que nous n’avons pas choisi, ce serait mille fois mieux. Ah bien oui, sans fauteuil, sans jambe de fer, sans insuffisance cardiaque, sans petit virus qui s’installe et prend de plus en plus de place, sans tout ça, le quotidien serait véritablement plus fluide, plus naturel, plus… normal.

Finalement le handicap, ce n’est pas quelque chose qui parfois nous ennuie, parfois nous empêche de participer à une course en sac avec les gamins, parfois nous prive du paquet de céréales tout en haut du rayon. Non, le handicap c’est chaque jour, chaque heure, chaque minute à chaque seconde, par ce qui vous est imperceptible, par ce qui nous est insupportable. Et en écrivant cela, pas de regard de chien battu, aucune demande de pitié. Nous nous promenons tous avec notre lot de fardeaux, handicap ou non : si j’écris ça, c’est pour expliquer, éviter les non-dits et amener à une meilleure compréhension de nos besoins, de nos demandes, de nos actes et agissements. Moins de « il exagère », plus de « ah, c’est pour ça… »

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