J’ai vu passer une polémique qui m’a posé problème : pour tout vous dire, je n’ai pas vraiment su me placer, je ne le sais d’ailleurs toujours pas…

Voici le contexte : lors de son spectacle, l’humoriste Jarry a interpellé une jeune femme de seize ans en fauteuil électrique. Il lui demande des infos sur son destrier « cette connerie », « cette merde » qu’il l’appelle. Comme elle ne peut pas s’exprimer, il passe du « tu » au « elle » et termine sa pause inattendue en lui demandant de lui faire un bisou avant de repartir continuer son spectacle.

Côté pile : les outragés

Effectivement, l’humoriste se comporte avec cette adolescente de la façon dont quelqu’un se comporterait avec un enfant en bas âge. Lui imposer de lui faire un bisou me rappelle tous ces moments gênants où des parents obligent leurs petits bouts de choux à faire un bisou au monsieur à la dame pour dire bonjour. Je me suis toujours demandé pourquoi le consentement n’était pris en compte qu’à partir d’un certain âge, peu étonnée que ce soit par conséquence difficile à intégrer pour certains ensuite. Seulement là, handicap ou pas, elle a seize ans, puberté bien avancée : n’est-ce pas rabaissant, pire même, un manque total de respect ? C’est ce que certains ont pensé. Ce qui se comprend.

Et bien sûr, les oreilles de beaucoup ont saigné à entendre le fauteuil être appelé par des noms communs vulgaires quand il est, pour nous, ce qui nous permet de ne pas vivre alités. Nous seuls avons le droit d’insulter ce qui nous sert de moyen de déplacement nécessaire. Ça fait penser au vieil oncle ringard qui ne sait pas utiliser de mots corrects et passe son temps à critiquer le physique des filles ou des femmes. Tellement déplacé et mal-aisant.

Oui mais…

Côté face : les reconnaissants

« Aucun tabou, dans ma salle de spectacle, tout le monde est considéré de la même manière ! ». C’est la légende que l’humoriste (ou son équipe com s’il en a une) a mis sous la vidéo. Beaucoup ont trouvé cet interlude inspirant car inclusif. C’est l’illustration d’un « on peut rire de tout et de tout le monde, même de soi ». La jeune fille rit aux éclats, la personne qui l’accompagne et qui doit certainement bien la connaître se marre autant. Jarry peut vanner une personne de couleur comme il peut appeler un fauteuil « une connerie » parce que c’est son métier et que l’humour dédramatise autant qu’il met en lumière. Que ça ait choqué ou que ça ait impressionné, ces quelques minutes ont amené des questions au-devant de la scène (au sens figuré du terme) qu’à l’accoutumé l’on oublie parce que bon, « on ne va pas trop parler du handicap non plus, c’est déprimant et il n’y a pas tant de personnes que ça concerne. »

Lorsque l’on suit un peu le travail de cet humoriste, que l’on s’intéresse au personnage que Jarry a créé pour se faire connaître et communiquer avec son public, il paraît évident que sa façon de parler à cette jeune fille n’est en réalité pas si différente de sa façon de parler à n’importe qui d’autre. Et si on se met à sa place, son passage du « tu » au « elle » est arrivé tardivement et parce qu’il s’est aperçu qu’il ne pouvait pas vraiment avoir une réponse de sa part à elle. Aurions-nous réagi mieux ? Aurais-je moi réagi mieux ? Je n’en suis pas certaine…

Mais alors, de quel côté est-ce que je me retrouve ?

Bienvenue sur la tranche : mon opinion

Si j’avais été à la place de la jeune fille, j’aurais détesté que Jarry me parle à 10 cm de mon visage, j’aurais détesté qu’il touche mon fauteuil, qu’il l’insulte plus encore, et je ne me serais pas empêché de lui faire une réflexion s’il s’était adressé à moi à la troisième personne du singulier.

Sauf que je n’étais pas à sa place. Je n’ai pas le même handicap, pas le même âge, pas le même caractère. J’aurais détesté être mise en avant pour mon handicap, mais elle, encore une fois, rit aux éclats aux blagues d’un humoriste qu’elle doit certainement – puisqu’elle est à son spectacle – apprécier ! Elle a peut-être aimé être la star d’un soir, aimé cet instant privilégié presqu’en face à face avec Jarry. Peut-être qu’elle a besoin de moins d’espace que moi lorsque quelqu’un lui parle, peut-être que ce que nous voyions comme de l’infantilisation, elle l’a perçu comme une marque affective.

Finalement, est-ce que ce débat est fondé ? Les outragés ne font que projeter leur propre mal-aisance voire leur mal-être sur cette jeune fille tandis que les reconnaissants clament à la bienveillance comme si ça les faisait participer à une quelconque bonne action, un quelconque « bon comportement ». Alors qu’à bien y regarder c’est juste une ado qu’un humoriste a pris comme sujet pour balancer deux ou trois blagues qui l’ont fait rire : ça tombe bien c’est son boulot. Doit-on aller chercher plus loin ? Peut-être pas cette fois…

Pin It on Pinterest