J’ai toujours été pudique. Par éducation avant tout je crois. Mes parents n’étant pas du genre à se trimbaler à poils chez eux, je n’ai jamais été tentée de le faire. Or, si pudeur il y a avec ses propres parents, par respect et par habitude ou façon de vivre, avec qui ne pas l’être ? Mis à part avec un compagnon ou une compagne bien sûr.

Seulement voilà, j’ai eu un accident

Je me suis faite à moitié déshabillée par les pompiers pour qu’ils puissent me sauver la vie (on ne leur en voudra pas, de toute façon je n’en ai aucun souvenir) et j’ai passé cinq semaines à l’hôpital à l’état de tétraplégie bien bien avancé (jambes et bras qui ne fonctionnent quasi pas).

Qu’est-ce que ça veut dire ? Facile, pendant cinq semaines, j’étais incapable de faire quoi que ce soit seule. Ce qui implique le fait de manger, de boire, d’allumer la télé, de s’habiller… et de se laver évidemment ! Alors durant cette période ce sont des inconnues qui se sont occupées de moi. Elles m’ont vue sous toutes les coutures, autant que ma mère lorsque j’étais enfant. Mieux vaut ne pas être gênée.

Bon, en même temps, soyons honnêtes cinq minutes : à ce moment là non seulement vous n’avez pas le choix, mais vous êtes en plus tant maintenu sous médication que vous n’avez pas vraiment le loisir de vous rendre compte de ce qui vous arrive.

Apprentissage des bases, le retour

Quoi qu’il en soit, les mois de rééducation, dont je vous parle si souvent et qui suivent le séjour chez les blouses blanches, servent à ré-apprivoiser un corps tout cassé. C’est pourquoi chaque jour de chaque semaine durant une période indéterminée (plus de deux ans pour ma part), il faut se réveiller pour apprendre à utiliser ses mains, ses bras, ses muscles revenus pour faire des choses qui étaient pour vous, il n’y a pas si longtemps, d’une logique désarmante. Porter la fourchette à votre bouche, utiliser un gant de toilette, fermer un bouton de gilet, enfiler des chaussettes, tout. Ce sont des batailles qui semblent anodines et pourtant c’est exactement ce qu’elles sont : des batailles. Et c’est autant de temps, d’efforts et d’énergie que vous déployez pour peu à peu, retrouver votre pudeur.

Car si vous réussissez de nouveau à vous servir d’un gant de toilette, alors qui sait, la semaine prochaine vous arriverez peut-être à vous laver entièrement seul. Si vous réussissez à de nouveau fermer un bouton de gilet et à enfiler vos chaussettes, alors qui sait, la semaine prochaine vous arriverez peut-être à vous habiller entièrement seul. Et aujourd’hui ça vous prend deux heures mais demain ? Demain ça ne vous en prendra plus qu’une et après-demain encore moins. Et c’est comme ça que vous avancerez petit à petit.

Mais imaginez, pendant 25 (longs) mois vous faites tout ce qui est en votre pouvoir pour retrouver votre indépendance, vous réapproprier votre corps et vous donner ainsi le droit de redevenir pudique. Et bien ça devient quelque chose d’encore plus important et précieux à vos yeux que ça ne l’était auparavant.

Nouveau corps, nouvelles appréciations

En ce qui me concerne, je sais qu’il y a eu quelques années pendant lesquelles certes, il y avait cette histoire de pudeur retrouvée trop précieuse pour être remise en question, mais il y avait avec les complexes que peuvent apporter le fait d’être en fauteuil qui faisaient que décidemment non, moins on en voyait et mieux je me portais.

Aujourd’hui je suis un peu moins sur la défensive : ça ne va plus me gêner de changer de T-shirt devant une amie par exemple. Ou si mon pull remonte un peu, dévoilant un peu de ma hanche sans que je m’en aperçoive, je ne vais plus m’en agacer comme j’aurais pu le faire il n’y a pas si longtemps. Je suis suffisamment en accord avec ce que je suis et ce que j’ai vécu pour choisir avec qui ou à quel degré être pudique. Excepté peut-être sur quelques sujets. Parce que je connais trop maintenant l’envers du décor.

Je m’explique.

La peur d’une rechute

Mes doigts droits fonctionnent, ce qui n’est pas le cas de ceux à gauche.

Je pourrais pourtant en retrouver un usage partiel si j’acceptais de me faire opérer pour réaliser un transfert de tendon. Seulement voilà, mis à part le fait que c’est une manip qui ne porte pas toujours ses fruits, cela voudrait dire que je devrais avoir le bras immobilisé pendant plusieurs mois. Enlevez un bras à un handi en fauteuil et adieu transferts, dans mon cas à moi, adieu aussi habillage, et tout ce que l’un et l’autre impliquent. Retour à la case départ.

Même sanction le jour où j’aurai décidé d’avoir un enfant et me retrouverai enceinte de plusieurs mois. Adieu indépendance et pour une tétra, pas d’indépendance équivaut à faire un trait sur, encore et toujours, sa pudeur.

Je crois que l’on comprendra aisément que l’on rechigne à se faire manipuler par de nouveaux inconnus, dans un cadre médical (comme si on n’en avait pas déjà assez eu !).

Bien sûr, je tiens à souligner comme chaque mois que tout cela n’est que mon ressenti, malgré mon usage parfois de la troisième personne. Certains handi n’ont aucun souci avec leur pudeur, l’hôpital ayant même eu pour un ou deux que j’ai rencontré l’effet inverse au mien. Plutôt que de les rendre plus pudiques, ça les a complètement désinhibés. Chacun réagit comme il peut avec ce qu’il vit. Et il n’y a ni bonne ni mauvaise façon de faire.

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