La solitude d’un corps unique
Lorsque je cherchais des témoignages de femmes qui ont vécu une grossesse en étant en fauteuil roulant, j’en ai trouvé peu. Étonnement. Les femmes en situation de handicap ne font-elles pas d’enfants ? J’en avais pourtant rencontré plusieurs au cours de ma longue période de rééducation. À force de recherches, j’ai tout de même fini par en dénicher quelques-uns, mais pour la plupart, la raison de la présence du fauteuil dans la vie de ces personnes était plus souvent la maladie que la paralysie. Ça m’aidait, mais pas assez. Tétraplégique incomplète, ça ne se trouve pas à tous les coins de rue, j’aurais dû m’en douter !
Bref. Quand le petit mot « enceinte » est apparu sur mon test de grossesse, ce petit mot que Marcel et mois attendions avec impatience depuis des mois, je savais que, quelque part, je serai un peu seule dans cette nouvelle aventure.
Attention, quand je dis « seule », c’est surtout concernant mes questions liées au handicap, quoi que j’allais bientôt changer d’avis. Mais n’allons pas trop vite. Au début donc, je n’avais pas de modèle. Je n’avais que l’expérience de ceux qui m’entouraient, valides. Ce qui est déjà pas mal ! L’avantage d’avoir son premier sur le tard (j’ai trente-trois ans), c’est que pas mal de copines y sont passées avant moi et se font une joie de me guider en fonction de leur propre vécu. Mais avouons-le tout de même, je navigue en partie à l’aveugle.
« Au petit bonheur la chance »
En bien comme en mal, le fait d’être une handi neurologique, c’est que les capacités de mes muscles sont très aléatoires. Certains fonctionnent, d’autres non, d’autres encore à moitié. Ajoutez à cela les caractéristiques propres à chaque femme enceinte et hop ! Voici un joyeux cocktail de « je ne sais pas trop, on verra bien ». Si j’ai des nausées, pourrai-je les gérer en fauteuil ? Est-ce que je sentirai bébé dans mon ventre ? Est-ce que mon utérus qui s’agrandit fera mal ? Pourrai-je gérer mon quotidien avec un gros ventre ? Aurai-je seulement un gros ventre, ou mon corps s’adaptera-t-il différemment ?
Le premier trimestre est donc été pour moi, une période à laquelle de nombreuses questions m’ont assaillies, de nombreuses inquiétudes aussi. Après tout, rien ne dit que ma position assise favorise la bonne accroche de l’embryon par exemple. La peur de la fausse couche qui pourrait se répéter m’empêchait de me réjouir. J’ai eu des frayeurs, car par deux fois j’ai eu de très (très) gros saignements, qui m’ont valu d’aller au service gynéco de l’hôpital en urgence. C’est le seul endroit où ils peuvent m’accueillir facilement, puisqu’ils ont plusieurs tables réglables en hauteur. Fausse alerte, pas d’explications visibles, tout va bien. Ouf.
Par précaution, j’ai quand même été mise sous progestérone, pour aider à l’implantation définitive et créer un environnement plus doux et confortable au petit embryon qui voulait rester. Ça a fonctionné. Même si, moi qui me targuais de n’avoir aucun symptôme de grossesse (pas de nausées, de douleurs, de vertiges, ou quoi que ce soit d’autres), j’ai dû soudain faire face aux gros pics de fatigue que me provoquait le traitement.
Mon premier trimestre s’est donc écoulé ainsi, entre frayeurs et siestes, questionnements et prudence, attente et silence. Annoncer mon état était exclu tant que nous n’étions pas sûrs qu’il durerait et que tout se passait parfaitement bien. Nous nous refusions à parler aménagement, organisation ou à trop nous projeter. Nous voulions être sûrs, avant, que l’embryon se soit définitivement accroché et qu’il soit devenu un fœtus bel et bien installé dans ses quartiers ! L’inverse aurait été trop dur à supporter une seconde fois pour moi.
D’un épais brouillard aux éclaircissements
Alors quand nous avons assisté ensemble, avec Marcel, à l’échographie officielle du premier trimestre, que nous avons entendu son cœur battre et vu ses minuscules pieds et mains, ce fut un soulagement. À tel point d’ailleurs, que j’ai fini par m’endormir sur la table d’examen ! Tout allait bien, il ou elle allait bien, nous pouvions souffler. Et nous autoriser à vraiment nous sentir heureux.
La première chose que j’ai faite en rentrant ce jour-là ? Envoyer un mail à la SAPPH : le Service d’Accompagnement à la Parentalité des Personnes en situation de Handicap. Dans ma région, c’est à Tours que se trouve leur service, appelé « Cap Parents ». Je les avais déjà rencontrés quelques mois auparavant, pour prendre les informations qui pourraient me servir plus tard, et j’avais été soulagée d’apprendre qu’une équipe pluridisciplinaire (puéricultrice, éducateur de jeunes enfants, psychologue, assistante sociale, ergothérapeute, sage-femme, gynécologue spécialisé…) aurait alors pour mission de m’aider.
Leur annoncer ma grossesse et sa viabilité enclencha le suivi, à commencer par une rencontre avec eux. Pendant celle-ci, nous avons eu le loisir de poser toutes les questions que nous nous posions et avons commencé à trouver des solutions aux problèmes techniques auxquels nous pensions. Bien des épines allaient nous être ôtées du pied grâce à leur expertise !
Le début d’un long chemin commença ainsi, et se poursuit aujourd’hui avec bonheur. Suivez les articles « Enceinte en fauteuil roulant » et découvrez le bilan du prochain trimestre dès le mois prochain ! Je vous y parlerai aménagements et adaptations pour parents PMR