Mardi 17 janvier 2023

Je ne sais pas comment je l’ai vu. Certainement sur Facebook via les publications des uns et des autres. C’est que mine de rien, depuis que je ne suis plus à l’école, il arrive que je ne sache pas quel jour exact de l’année nous sommes : il n’y a plus de tableau au fond de la salle de classe avec la date du jour écrit dessus chaque matin. Mais bref, par hasard je lis « 17 janvier » et je pense un vague

« ah tiens, demain c’est le 18… »

J’ai un sens de la déduction très développé, ça se voit non ? Une pensée furtive donc, rien de très particulier…

Mercredi 18 janvier 2023

Mes débuts de journées se ressemblent tous, c’est la seule routine que j’apprécie. Je me lève en même temps que Marcel, nous prenons notre boisson chaude du matin ensemble et je bouquine tandis qu’il se prépare, attendant mon tour pour utiliser la salle de bain. Nous commençons le travail à peu près à la même heure, mais lui il a de la route, moi je reste à domicile. Le ballet habituel se déroule donc ainsi.

Avant midi, je m’occupe de tout ce qui est en rapport avec le Community management donc je gère les réseaux sociaux, programme des publications, avance sur le prochain e-mailing et y ajoute les tâches administratives du jour. Automatismes. Je sais qu’à 14h mon associée et moi avons rendez-vous à la banque. Je dois de ce fait être prête pour partir à 13h30 en ayant mangé avant. Concentrée sur le déroulé de ma journée, je laisse peu de place à mes émotions quant à la date à laquelle nous sommes. On dira que je ne ressens rien. Fierté. J’essaye d’ignorer l’image du dessin animé Disney Blanche Neige qui me vient en tête, lorsque les écureuils cachent la poussière sous le tapis.

Après avoir vu notre banquière et signé tout un tas de papiers, nous allons chez moi pour avancer sur le dépôt de notre marque et les préparatifs de notre soirée de lancement. Nous sommes sérieuses, déterminées et nous travaillons avec passion. Parfois nous dérivons, ce sont nos pauses blabla perso. Je ne dis rien sur le fait que nous soyons le 18 janvier 2023.

« Ça ne sert à rien, je vais bien, ça ne me touche pas. »

On parle plutôt de nos amoureux respectifs et de nos amitiés aussi, nos sujets de discussion préférés !

Marcel rentre du boulot : comme nous n’avons pas fini, il va se poser dans le canapé et s’endort, fatigué par un début de semaine éreintant. Mon associée finit par partir : nous avons du mal à nous arrêter mais il le faut bien ! Avec Marcel nous nous installons dans la cuisine, nous discutons de tout et de rien pendant qu’il cuisine. Nous dînons, nous faisons un jeu de société puis nous nous posons devant notre série du moment.

C’est très étrange, toutes ces choses qui se déroulent comme elles se déroulent toujours : simplement, naturellement. Dans ma tête j’ai l’impression de me regarder vivre deux journées de deux années différentes en même temps, comme si je me trouvais dans une faille spatio-temporelle en tant que spectatrice de ma propre – mes propres – vie(s).

Ce soir-là avec Marcel nous avons fait l’amour. Je réalise aujourd’hui que je trouve ça très poétique, faire l’amour lorsque dix ans plus tôt, à la même heure, mon pronostic vital était engagé. Car qu’y a-t-il de plus vivant que de faire l’amour avec la personne que l’on aime du plus profond de son cœur ? Qu’y a-t-il de plus vivant que l’Amour même d’ailleurs ? La mort, le temps, la vie.

J’avais hésité à aborder cette question de date avec Marcel et puis finalement non, j’ai préféré me faire croire que ça n’avait pas la moindre importance.

Jeudi 19 janvier 2023

Mon jeune frère m’a écrit un sms pendant la nuit me disant qu’il a pensé à moi, qu’il me souhaite un « joyeux anniversaire. » Un humour spécial entre nous qui nous permet de nous dire que l’on s’aime l’air de rien. Je n’arrive pas à définir ce que je ressens : est-ce que ça m’attriste, ou est-ce que ça me touche qu’il ait eut cette attention ? Je rentre dans ma douche après l’avoir lu, je mets l’eau à couler et tandis que la chaleur se déverse sur ma peau, je constate que c’est le seul à m’en avoir parlé. Ce qui a été pour moi un changement de vie radical que l’on ne souhaite à personne même si j’ai réussi à en faire quelque chose de beau, pour les autres c’est comme s’il y avait prescription. Et c’est normal, c’est le propre du vécu de chacun, c’est simplement étrange à voir. Je sais que mes parents ont dû y penser aussi, mais il y a cette pudeur entre nous qui a laissé le silence gagner. Ça n’est ni mal ni bien.

Bref. Dix ans d’invalidité. Une décennie. Trois mille six cents quarante-deux jours. Le tiers de ma vie.

Et ça va je crois, en tout cas je m’en persuade. Je n’y pense pas trop. Et quand ça arrive j’ai de quoi me faire un chocolat chaud. Vivement le mois de février quand même.

… PS/bonus de la part de notre équipe… Juste au cas où…  

accident vie handicap

 

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