En janvier prochain, ça fera neuf ans que je suis en fauteuil. Neuf ans on peut se dire que c’est déjà pas mal : je ne suis plus une apprentie handi n’est-ce pas ? Encore moins sachant toutes les expériences que je me suis fait vivre ! Pour autant je ne suis pas encore un vieux singe, et même si personne n’a à m’apprendre à faire la grimace, je me rends compte encore aujourd’hui qu’il m‘arrive d’être décidemment bien naïve.

 

La vingtaine, vieux innocents…

Parce qu’okay, j’ai eu le temps de rouler ma bos… mon fauteuil : j’ai voyagé, testé des sports en veux-tu en voilà, suis allée à droite à gauche en me disant « on verra bien, je m’adapte ! » Mais l’avantage de l’aventure, c’est qu’elle est éphémère. Un lit qui n’est pas à hauteur dans une chambre d’hôtel/hôte/airbnb ? On se débrouille pour une ou deux nuits. Une marche devant un musée ou un magasin dans lequel on veut absolument faire un tour ? Il y aura toujours quelqu’un pour accepter de donner un coup de main (hé, les humains sont sympas pour la majorité, je vous assure !). L’entrée de l’immeuble des copains qui est un peu étroite ? Je rentre les mains, je m’engage tout doucement et ça passe.

Seulement ça c’était ma vie de vingtenaire. Par monts, par vaux, libre comme l’air et avec un besoin de compenser le fauteuil en étant constamment en mouvement. Je me disais hyperactive et je l’étais, mais davantage par choix que par nature profonde. Et puis parce que dans cette tranche d’âges, j’ai découvert les débuts de la vie d’adulte, avec des responsabilités oui, mais qui n’engageait pas d’autres Êtres vivant que moi (à part mon chat peut-être quand même !) La plupart des décisions je les prenais pour moi seule. Moi seule… comprenant Albert le fauteuil évidemment.

 

… la trentaine, jeunes sages (en devenir) ?

Aujourd’hui ma vie a évolué. Dans le bon sens c’est ce que je me plais à penser. La Covid m’ayant forcée à rester sur place, j’ai dû apprendre à me poser pour finalement me rendre compte que c’était peut-être ce dont j’avais désormais envie : me poser. Alors voilà, construire une vie commune avec quelqu’un, acheter une maison, ralentir l’activité professionnelle « free-lance » pour un poste régulier dans une structure… Or si la vie change, les décisions que l’on a à prendre aussi. Par conséquent, ce sont de nouvelles problématiques que nous offre le handicap. La question m’est venue très vite : ça ne s’arrêtera donc jamais ?

handicap accessibilité adaptabilité

Parce qu’un lieu dans lequel nous prenons la décision de passer les mois, voire les années à venir, on ne peut pas se permettre de le choisir à la va-vite en se disant qu’on s’adaptera. Pas cette fois non. Soit le lieu est à moitié accessible mais modifiable, soit il ne l’est pas. L’accessibilité d’emblée n’existe pas. Comme je vous le dis souvent, il n’y a pas deux handicaps exactement pareils, ce qui implique que nous avons chacun nos petits besoins particuliers. Seulement quand on a trente ans et que l’on débute dans l’achat de maison, et ben on est tout mignon à se dire « oh bah ça, on le changera, ce ne sont pas de gros travaux… »

 

Zoom sur la maison, adieu l’éphémère !

AH AH AH CE NE SONT PAS DE GROS TRAVAUX QU’ILS DISENT. Jusqu’à ce que les ouvriers nous remettent les pieds sur terre… nous enlevant derechef les paillettes que nous nous étions joyeusement mises dans les yeux !

accessibilité fauteuil roulant Faire agrandir des portes pour pouvoir aller d’une pièce à une autre aisément, et bien ça ne se fait pas en un claquement de doigts, ça ne se fait pas à n’importe quel moment, et selon, les revêtements des murs n’impliquent pas le même travail. Refaire aménager une salle de bain pour qu’on puisse y prendre sa douche malgré son handicap, ça se réfléchit, ça se dessine et ça se peaufine, parce que la moindre erreur peut nous coûter cher à rectifier, le chantier fini. Du « on bidouillera ça pour que ce soit un peu plus bas » au « on refait tout » dans la cuisine, c’est aussi une histoire de confort : nous ne sommes plus dans l’éphémère des vadrouilles. Ces projets-là, c’est pour le long terme. Et l’enjeu est aussi simple qu’il est capital : faire en sorte que mon handicap ne soit pas rendu plus pénible à vivre par des adaptations bancales, oubliées ou mal faites.

Moi qui pensais, innocemment, que j’étais une adulte pour lequel le fauteuil n’avait plus de secret !… Je constate de façon un peu désabusée que je ne serai jamais vraiment au bout ni de mes surprises ni de mes peines avec Albert.

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