Deux cérémonies de trop
Neuf mois. C’est le temps qu’il m’aura fallu pour dire adieu à mes deux derniers grands-parents. Deux histoires, deux absences, deux chagrins. Et deux églises. L’une dans un village, l’autre dans une ville un peu plus grande. À chaque fois, le même silence pesant, les visages graves, les souvenirs partagés. Mais à chaque fois aussi, des détails auxquels je n’aurais pas aimé avoir à penser.
La première église avait des marches, évidemment. Ce jour-là, heureusement, il y avait des rampes amovibles, non pas pour les personnes à mobilité réduite, mais pour le cercueil. Ce sont des aides prévues pour qu’on puisse faire passer la mort qui m’ont permis d’entrer, moi, avec la vie encore bien présente. Une coïncidence utile, mais un goût amer.
La seconde fois, c’était plus fluide, grâce à une belle rampe goudronnée toute neuve. Le devant de l’église avait été refait, et on avait pensé à l’accessibilité : un soulagement. Rien de spectaculaire, juste le droit d’entrer sans que mon fauteuil devienne un problème. Et ça, déjà, c’était beaucoup.
Entre les marches et le cercueil
À l’intérieur, dans les deux cas, j’étais placée devant, en première ligne. Privilège ou contrainte, je ne sais pas. Ce n’était pas gênant, bien qu’intense. Ce qui l’a été en revanche, c’est le moment de lire les textes que j’avais écrit pour leur dire au revoir. Les fameuses « éloges funèbres ». Pas mon exercice d’écriture préféré. Des mots simples, des mots pour eux, et ces mots-là, je voulais les lire moi-même.
Mais voilà, dans une église comme dans l’autre, le pupitre avec le micro était en haut de quelques marches. Rien d’insurmontable… pour quelqu’un qui peut les monter. Alors on a improvisé : moi, entre les marches et le cercueil (bien trop près de ce dernier !), un micro tendu à bout de bras par quelqu’un de bonne volonté. Pas de quoi faire un scandale. Juste de quoi me rappeler que même dans le deuil, je reste différente.
Ce n’est pas une plainte. C’est une observation. Le genre de petit décalage qu’on garde pour soi parce que la tristesse prend déjà toute la place.
Au bord, mais pas tout à fait avec…
Et puis vient le cimetière : le dernier trajet, le plus lent, celui qu’on voudrait ne pas avoir à faire. Là, le sol sablonneux, lourd, inégal sur lequel je me déplace difficilement. Les tombes familiales sont proches de l’entrée, heureusement. Je m’en approche sans prendre le risque de rester coincée entre une pierre et un pot de fleurs dans l’allée, n’ayant d’autre choix que de regarder de loin.
C’est mon Barbu qui avance à ma place, qui dépose la branche d’olivier dans le trou béant. Il le fait pour moi, et ça me serre un peu le cœur, même si je sais qu’il comprend.
Ce jour-là, comme l’autre, je n’avais pas envie qu’on me voie. Pas envie qu’on remarque mon fauteuil. J’aurais aimé être juste une petite-fille en deuil, comme les autres. Mais mon corps me rappelle, même dans la peine, que je dois composer. M’ajuster. Penser à l’accessibilité… Entre deux larmes.