En France, manger est un art et, même si les règles de bonne conduite s’oublient peu à peu, elles ont longtemps été nombreuses, parfois exagérées. Certaines tiennent leur origine du passé, d’autres de la superstition, ce qui explique leur déclin. Enfant, j’en ai appris un certain nombre : poser mes couverts entre deux bouchées, attendre que l’hôte ait commencé de manger avant d’attaquer sa propre assiette, remercier la personne qui a cuisiné, mettre le couteau à droite et la fourchette à gauche quand on dresse la table, etc. Je n’y ai jamais vu, une fois adulte, de contrainte. Au contraire, j’aimais bien suivre ces petites habitudes de bienséance, l’air de rien. Le souci c’est qu’avec mon handicap actuel, je suis obligée d’en laisser certaines de côté…
Garder les coudes près du corps quand je coupe un aliment
Cette règle paraît étrange alors qu’elle est d’une logique implacable. Je me souviens encore de ma mère qui me disait de ranger mes coudes, au risque de m’envoler. En vérité, cela permettait surtout de ne pas empiéter sur l’espace vital de mes voisins de table. Seulement voilà, aujourd’hui, les faiblesses que j’ai dans les muscles de mes bras, et surtout dans mes doigts, font que je ne peux pas aussi bien choisir ma position de découpe que n’importe qui d’autre. Si je m’évertuais à vouloir garder les coudes près de mon corps, je n’aurais pas la force nécessaire pour appuyer suffisamment sur mon couteau et ma fourchette pour que ces derniers soient efficaces dans leurs tâches. Ainsi lorsque je dois couper un aliment un peu dur, vous pouvez m’admirer les ailes déployées, tel un albatros en plein vol. Heureusement je suis souvent placée en bout de table – plus pratique quand on est en fauteuil – je n’ai donc aucun voisin qui souffre de cette envergure !
Me tenir droite à table
Connaissez-vous ce repère amusant que l’on donne pour apprendre aux enfants la position parfaite à avoir quand nous sommes à table ? Il faut se tenir le dos droit « un chat devant, une souris derrière » pour n’être ni adossé à la chaise, ni collé à la table. Mais c’est sans compter mes abdominaux moitié normaux, moitié guimauve ! Outre le fait que me tenir droite représente pour mon corps un exercice à part entière – dos, épaules, abdos – ce n’est plus une position naturelle pour moi, encore moins confortable ! Ayant retrouvé plus de mobilité du côté droit de mon corps que du côté gauche, il en est déséquilibré et quand parfois je me sens droite, je suis en réalité un peu de travers… Et inversement ! La solution à cela ? Ce serait que je mange face à un miroir tout en renforçant mon gainage. Ce serait difficile… et quand même étrange n’est-ce pas ?
Ne pas sortir de table avant la fin du repas (pour aller aux toilettes notamment)
En soi celle-ci, je pourrais la respecter, ce ne serait pas un problème pour moi de me retenir jusqu’à la fin du repas. Non, là le problème serait surtout pour mon voisin d’en face qui subirait alors les spasmes de mes jambes. Je sais ce que vous allez me dire, pourquoi est-ce que je ne fais pas comme les enfants et que je ne vais pas faire pipi avant de passer à table ? Parce que je pratique l’auto-sondage : si je me sonde alors que je ne sens pas (encore) que ma vessie est pleine, je risque de me faire mal (et c’est très désagréable, croyez-moi !)
Être l’hôte parfaite et servir les plats
Si j’ai peu d’invités et que nous sommes installés dans la cuisine, le four est assez proche de la table pour que je puisse faire passer le plat de l’un à l’autre en toute sécurité, et encore, si le plat en question n’est pas trop lourd. En revanche s’il faut que j’emmène les lasagnes brûlantes jusqu’au salon, mes genoux ne vont pas apprécier ! Je n’ai pas un plateau assez grand pour trimballer un gros contenant sur mes jambes, et un torchon ne suffirait pas à les protéger (même deux d’ailleurs). Alors comme toujours, si vraiment je dois, je peux : je trouve toujours des solutions. Mais le plus simple reste encore d’exploiter mon Barbu (avec amour, toujours !)
Ne pas couper la salade ou les pâtes
Et oui, on ne coupe pas sa salade, on la plie. On ne coupe pas ses spaghettis, on les enroule. Sauf qu’avec des doigts à l’habileté approximative et des poignets pas très costauds, faut-il que je développe ? Déjà que je mange lentement, si en plus je dois m’y reprendre à quatre fois pour enfin réussir à tourner ma fourchette entre mes doigts pour former un joli nid de pâtes sans qu’il ne retombe dans l’assiette quand je le porterai à la bouche…
Maintenant, après vous avoir expliqué tout ça, je tiens quand même à préciser que je suis tout à fait sortable : je n’ai encore provoqué aucune honte à mes proches en allant manger avec eux. Heureusement d’ailleurs, car s’il y a bien une chose qui se retrouve chez tous, moi y compris, c’est bien le plaisir de partager un repas ensemble, au restaurant ou chez nous !