Aujourd’hui, je cherchais à avoir plus d’informations sur le validisme, et alors que j’écrivais ce mot dans le contenu d’un message, mon téléphone a voulu me reprendre. Visiblement, ce terme ne lui convenait pas. À la place, il me proposait « validité », « validiez » ou même encore « valises ». Visiblement, même en 2025, il est plus logique de causer bagagerie que de parler de l’un des systèmes de discrimination les plus répandus et les plus invisibilisés de notre époque. Merci au T9, à la pointe de la justice sociale !

Après, et pour être tout à fait honnête avec vous, pour moi aussi c’est un mot relativement récent. D’ailleurs il est né dans les années 1970-1980, ce qui n’est pas si loin que ça non plus, n’en déplaise à certains ! Toujours est-il que je ne l’ai pas reçu avec le livret d’utilisation du fauteuil roulant. Et pourtant, il me concerne directement depuis quelques années maintenant. C’est un peu comme les femmes qui ont dû accepter leur rôle, leur place et ses conséquences avant qu’enfin la société décide d’appeler un chat, un chat, soit dans ce cas présent : l’inégalité.

Bref. On vit avec, on s’adapte, on sourit poliment aux remarques déplacées… jusqu’au jour où BAM ! Il est enfin nommé. Et là, ça change tout. Ce n’est pas juste moi qui suis trop sensible, ou juste les autres qui sont maladroits : c’est du validisme.

Ok mais alors c’est quoi, le validisme ?

C’est l’idée que les personnes valides sont la norme, le modèle, le mètre-étalon de la société. Et que tout ce qui en dévie comme les personnes en situation de handicap, les malades chroniques, les personnes neuroatypiques, sont « moins que normales ». Donc également moins capables, moins dignes, moins employables, moins séduisantes, moins autonomes… Moins tout en fait ! C’est une oppression systémique. Rien que ça.

Il faut bien l’admettre, elle est bien planquée cette oppression. Parce qu’elle est souvent bienveillante. Ou en tout cas, elle se croit l’être. Le validisme, c’est quand une mamie me pose la main sur l’épaule et me regarde avec un air compatissant, parce que je suis en fauteuil et pourrais avoir l’âge de sa petite-fille. C’est quand un inconnu se met à pousser mon destrier pour m’aider sans me demander si j’en ai besoin, de cette aide. C’est quand je vais à un rendez-vous médical et qu’il n’y a aucune place prévue en salle d’attente pour une personne à mobilité réduite, et que je me retrouve à devoir attendre en plein milieu de la pièce. Vous en voulez d’autres ?

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C’est aussi quand je vais dans un resto sympa et que je réalise que les toilettes PMR sont… au sous-sol. Ah, le doux frisson du « Si vous voulez on peut vous porter ! ». C’est non. Je ne suis pas un objet que l’on déplace à sa convenance. Que l’on touche sans son consentement. Et je ne suis ni une enfant, ni une personne âgée, à qui l’on parle fort en articulant de façon grotesque, comme si elle ne comprenait rien.

Le validisme, c’est aussi l’oubli

Le validisme, c’est aussi le silence. L’absence. Le fait de ne pas penser à l’éventualité de la personne en fauteuil.

C’est ne pas être pris en compte dans un plan d’évacuation, dans un recrutement, dans une sortie entre potes. Quand l’accessibilité est une case à cocher mais jamais un vrai critère. Quand on conçoit un événement, une appli, un vêtement, une pub… sans se dire : « Tiens, et les personnes en situation de handicap ? » Alors quoi ? Il faudrait être discrets, dociles, reconnaissants, déjà qu’on nous laisse exister dans un coin ?  Surtout pas trop exigeants, parce qu’après tout on n’est pas si nombreux.

 

Je me rappelle d’un déplacement que j’ai fait pendant lequel le responsable du premier hébergement avait été tout fier d’annoncer que le lieu était accessible. Arrivée sur place, force a été de constater que nous n’avions pas la même définition d’un lieu accessible. Marche à l’entrée (mais ça n’est que 10cm, ce n’est pas une vraie marche…) Rampe pour accéder au jardin en pente raide et WC spacieux oui, mais occupés par les balais et les seaux de l’équipe de ménage. Je n’avais pourtant pas prévu une session escape game dans mon programme !

L’humour, une arme massive

Alors oui, j’en ris. Souvent. Parce que c’est ma manière de survivre à toutes ces aberrations. De ne pas me noyer dans l’absurdité de certaines situations. Mais il ne faut pas confondre autodérision et résignation. J’ai le droit de rire, et j’ai le droit de râler. Parfois en même temps, c’est plus efficace.

Et non, je ne suis pas une guerrière courageuse qui affronte la vie avec le sourire. Je suis une nana qui essaie juste de vivre normalement dans un monde qui me complique tout, tout le temps. Et ce n’est pas mon handicap le problème. Ce sont les trottoirs trop étroits, les regards insistants, les remarques déplacées, les ascenseurs en panne, les formulaires administratifs écrits pour des robots, les préjugés, et le manque d’action des institutions.

Alors on fait quoi ?

On commence par nommer les choses. Le mot existe. Il est moche, c’est vrai — validisme, ça sonne comme une insulte mal prononcée dans une telenovela — mais il est nécessaire. Et une fois qu’on a mis le doigt dessus, on ne peut plus faire marche arrière. On le voit partout. Et surtout, on peut en parler.

Pas pour faire pleurer dans les chaumières. Pas pour mendier de la pitié, mais bien pour informer. Pour secouer un peu la fourmilière. Pour que, peut-être, demain, le comportement des uns et des autres s’adapte mieux sans même que l’on s’en aperçoive.

Et pour que, surtout, on arrête de faire comme si l’égalité était la solution, parce qu’elle impliquerait de traiter tout le monde de la même façon. Le Graal, le vrai, serait d’atteindre l’équité : de traiter chacun selon ses besoins. Et ça, ça commence par écouter les premiers concernés.

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